« Obéir, désobéir : à qui et à quoi ? »

tel était le titre du workshop organisé par Rachel Renault (MCF) et Karl Zimmer (doctorant) les 26 et 27 février 2024 au Mans.

Karl Zimmer a ouvert ces journées avec une analyse du placard (ci-dessus) présent sur le programme. Le document a été affiché en Mayenne au cours de la crise frumentaire de 1839-1840 qui a marqué toute l’Europe de l’Ouest. Une telle source est rare. Elle donne directement accès à une parole populaire. C’est à la fois une résistance ouverte à l’encontre des autorités et en même temps, parce que traquée, elle fut très rapidement dissimulée de l’espace public.

La première session a fait dialoguer les travaux de deux modernistes. D’abord, Philippe Hamon (Rennes) a examiné les mouvements d’autodéfense reconnus par la monarchie à la fin du Moyen Âge. Il a montré comment certaines modalités de ces expériences étaient réactivées ou non lors de révoltes contestataires (rôle du tocsin et du capitaine de paroisse, place des femmes, usage d’armes et de la violence, dimension carnavalesque). Il a alors interrogé la légitimité de ces deux formes de mobilisations collectives au prisme des concepts de domination et de politisation. Il a ainsi avancé l’idée que la désobéissance intervient à partir du moment où l’autorité ne remplit plus son rôle. Ensuite, Brice Evain (Caen) a proposé une étude de l’expression « Vive le Roy sans la gabelle ». Est-elle véritablement l’expression d’un « monarchisme naïf » ? Pour cela, il s’est appuyé sur plusieurs exemples de révoltes populaires survenues en France entre 1548 et 1639. Chaque cas présente un point commun, celui de revendiquer un loyalisme envers le roi et de dénoncer l’injustice produite par l’entourage ou les agents du pouvoir royal. Toutefois, Brice Evain a insisté sur l’ambiguïté que revêt cette formule et la dimension rébellionnaire qu’elle contient.

La deuxième session a permis d’écouter trois interventions. Ane Pablos (Bilbao) a présenté une étude de cas sur des révoltes dans le pays Basque espagnol. Celles de 1718 et de 1714 interrogent le droit coutumier (fuero). La première a éclaté dans la région de Bilbao, à la suite du déplacement des bureaux de douane maritime. La seconde révolte s’est opposée à une tentative de réforme pour rendre obligatoire le service militaire. Ana Pablos a expliqué de quelle manière la défense de coutumes locales participait à une politisation. Le deuxième intervenant était Paul Maneuvrier-Hervieu (Milan). Il a présenté les premiers résultats d’un projet collectif entrepris avec Cynthia Bouton et Cédric Chambru, à partir de la base Hiscod (https://mrsh.unicaen.fr/hiscod/accueil.html). L’objectif était de montrer les avantages et les limites du travail quantitatif pour appréhender les émotions populaires. La troisième communication a été prononcée par Anna Anikpara Damon (Marseille). Elle a expliqué les modalités de répression d’Algériens sous la monarchie de Juillet. Pour les incarcérer sur l’île Sainte-Marguerite, au large de Cannes, les autorités ont défini de nouvelles catégories militaires, judiciaires, politiques et coloniales.

La troisième session a débuté par l’intervention de Claire Gauthier (Lille). Sa communication a porté sur une étude de cas : Les séditieuses d’Amplepuis : désobéir pour redistribuer ? Étude d’un accaparement de blé en Avril 1789. Cette désobéissance micro-historique est un interstice qui questionne la place des femmes dans les révoltes frumentaires. Ces dernières sont-elles des contestations propre aux femmes ? L’absence ou la faible présence des hommes est criante. Ces événements donnent à voir un point de vue sur les femmes. Les cris, les gestes, les lieux, les objets participent à construire à l’identité féminine de ces révoltes. Par ailleurs, ce qui est condamné comme un vol, peut-il être interprété comme une redistribution ? Dans cette affaire, les femmes exigent et obtiennent une vente. De facto, elles interviennent comme régulatrices du marché. La seconde intervention de la matinée a été proposée par Mathilde Larrère (Marne-la-Vallée). Privilégiant une approche historiographique, elle a retracé les jalons de l’histoire des femmes dans les mouvements sociaux. Il a été également question de l’usage et du mésusage des sources pour traquer les femmes comme actrices révolutionnaires (et contre-révolutionnaires). En effet, les troubles socio-politiques sont des moments privilégiés de l’agentivité des femmes. Les révoltes et leurs représentations peuvent être sans conteste appréhender de manière genrée. Enfin, Mathilde Larrère est revenue sur le bilan inégal des désobéissances en termes d’émancipation collective des femmes et pose les enjeux du retour à l’ordre social et politique comme synonyme d’un retour à l’ordre des sexes.

Le quatrième panel a été l’occasion d’entendre deux communicants. D’abord, Olivier Coelho (Munich) a présenté ses travaux sur les mutations du système policier allemand au cours de la période révolutionnaire. Il a analysé par le haut deux grèves de compagnons, l’une en 1784 et l’autre en 1802. Ensuite, Alexandre Goderniaux (Liège) s’est penché sur la mise en récit de la journée des barricades, le 12 mai 1588.  Interrogeant la nature polémique des libelles, il a présenté les conflits d’interprétations au cours d’un événement insurrectionnel.

En conclusion de ces deux journées, Rachel Renault a ouvert une discussion sur la dualité consentement/coercition. Au fond, elle a reposé la question de la désobéissance : est-elle un refus de l’ordre ?

Coralie Beny, Thibault Decosse, Valentin Lesoueve-Goupil, Baptiste Ricois
(stagiaire L3 « recherche », au sein du laboratoire Temos, sous la direction de K.ZIMMER)

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