Histoire(s) de famille(s). Un objet d’étude en renouvellement ?
Journée d’étude du 28 mars 2025
Cette journée d’étude, qui s’est tenue à la maison de la recherche Germaine Tillon d’Angers, a été organisée par la promotion dite « Thucydide » des M2 Pratiques de la Recherche Historique de l’université d’Angers, au sein du laboratoire TEMOS et avec le soutien d’Enjeux, pôle universitaire ligérien d’études sur l’enfance et la jeunesse.
L’histoire de la famille. Une histoire (toujours) contemporaine
Le choix de consacrer une journée d’étude à l’histoire de la famille se fonda sur un questionnement historiographique. En effet, ce champ de recherche s’était révélé fructueux entre les années 1950 et le milieu des années 1980. De grands travaux mêlèrent démographie historique, anthropologie et histoire des mentalités, à l’instar de l’étude devenue classique de Christiane Klapisch-Zuber et de David Herlihy, Les Toscans et leurs familles. Une étude du Catasto Florentin de 1427, publiée en 1978. Cette émulation collective transpériode et transdisciplinaire, en partie encouragée par un séminaire de l’EHESS pendant une décennie, à abouti en 1986 à l’Histoire de la famille, codirigé par André Burguière, Christiane Klapisch-Zuber, Martine Segalen et Françoise Zonabend. Cet ouvrage demeure aujourd’hui la synthèse de référence alors que la recherche dans le domaine n’a jamais cessé depuis quarante ans. Celle-ci s’anima notamment sous l’effet des bouleversements apportés par l’histoire du genre, des marges ou encore la prise en compte de nouvelles sources comme les ego-documents. Même si les historiens ne s’en revendiquent plus forcément les héritiers aujourd’hui, l’histoire de la famille se manifeste donc comme un champ de recherche particulièrement dynamique, promis à un bel avenir. En effet, la mise en lumière depuis quelques années des violences intrafamiliales dans le débat public, l’instauration de réformes sociétales (le PACS, le mariage homosexuel, l’ouverture de la PMA pour toutes…), ou encore les modifications socio-démographiques de la structure familiale, ne représentent qu’une partie des exemples qui fournissent aux historiens de nouveaux questionnements.
Dès lors, le titre choisi pour cette journée reflétait cette problématique générale : est-il encore possible de parler d’une histoire de la famille ou bien le pluriel est-il devenu nécessaire ?

Le déroulement de la journée
Après le mot d’accueil prononcé par M. François Quellier, responsable des M2 PRH, la matinée fut consacrée aux « traces de la famille ». Deux conférences permirent d’identifier et d’illustrer la façon dont les sources pouvaient être utilisées par les historiens pour produire une histoire de famille.

M. Didier Lett anima la première conférence. Il revint sur les sources qu’il avait pu mobiliser au cours de son parcours de recherche. Sa typologie, caractérisée par une grande diversité, mit notamment en lien la nature des sources avec l’histoire qu’elle permet de produire. Il insista également sur le fait que, pour lui, « le silence des archives n’explique pas le silence des historiens ». C’est le questionnement de l’historien qui révèle la richesse des sources.
Lors de la deuxième conférence, Mme Véronique Blanchard expliqua comment les archives judiciaires des tribunaux pour enfants lui avaient permis de reconstruire le contexte familial des classes populaires parisiennes de l’après-guerre. À contre-pied d’une histoire institutionnelle, les dossiers judiciaires mirent l’historienne au contact de sources directes des enfants, grâce à la conservation des tests auxquels ils devaient se soumettre. Elle mit finalement en exergue la construction de la représentation de la « famille irrégulière », qui associait à la déviance infantile des pratiques parentales jugées mauvaises.
Après la pause du midi, la journée s’est poursuivie autour des thématiques actuelles de la « famille voulue, refusée, contrariée ». Une première intervention de Mme Nicole Pellegrin, consacrée aux rapports entre le vêtement et l’âge dans les familles privilégiées en France du XVIIIe au XXe siècle, dut malheureusement être annulée. L’après-midi s’ouvrit donc avec une conférence suggérant une « autre histoire de familles » au prisme de la bâtardise médiévale, présentée par Mme Carole Avignon. Proposant une approche par les mots, au croisement des démarches sociologique et anthropologique, elle souligna la complexité et les doutes que le médiéviste rencontre face aux notions de bâtardise et de filiation. Elle conclut en démontrant que la bâtardise traduisait un rapport à la filiation par l’altérité plutôt que par la légitimité, en accord avec une parenté détachée du facteur biologique en raison des alliances matrimoniales récurrentes.
La conférence suivante de M. Yves Denéchère s’inscrivit dans un thème similaire, avec la notion d’adoption en tant que lien de filiation juridique à l’époque contemporaine. En comparant les lois entre l’adoption nationale et internationale, il démontra l’influence de l’État sur les normes et représentations familiales de la deuxième partie du XXe siècle. Les différences juridiques favorisèrent dans un premier temps la constitution de familles spécifiques avec des enfants étrangers, comme les modèles monoparental ou homosexuel. La dimension humanitaire acquise par le processus à partir des années 1960 renversa le principe initial de protection de l’enfance au profit des besoins parentaux. Cela mena l’État à renforcer les leviers de régulation, finalisant la mutation d’une adoption artisanale à une adoption organisée.
La journée s’acheva autour d’une table ronde conclusive rassemblant les quatre intervenants. Elle représenta l’occasion de prendre de la hauteur vis-à-vis des périodes et des sujets de recherche de chaque intervenant au profit d’une réflexion plus historiographique. Elle questionna notamment une éventuelle définition de « l’histoire de la famille » et revint sur les dynamiques passées et actuelles du courant. Le débat illustra le dialogue rendu possible par ce champ de recherche entre les périodes et les autres disciplines. Pour conclure, cette journée démontra que parler d’une histoire de la famille n’était plus en accord avec les travaux actuels. Les approches par les marges permirent de réviser l’idée d’un modèle familial unique. Dès lors, il convient plutôt de construire une histoire des familles.

De gauche à droite : M. Didier Lett, Mme Carole Avignon, le modérateur, Mme Véronique Blanchard, M. Yves Denéchère
OpenEdition vous propose de citer ce billet de la manière suivante :
TEMOS (9 mai 2025). Histoire(s) de famille(s). Un objet d’étude en renouvellement ? . TEMOS - temps, mondes, sociétés. Consulté le 9 novembre 2025 à l’adresse https://doi.org/10.58079/13w85



